Signes de vie :

comment scruter les exoplanètes à la recherche de vie extraterrestre

par Alexis Riopel ― 29 avril 2017

Les étoiles dans le ciel brillent-elles pour nous seuls? Aujourd’hui, des rêveurs bien organisés veulent déterminer si nous sommes seuls dans l’Univers. « Moi c’est clair: mon but ultime est de trouver de la vie ailleurs » affirme le professeur René Doyon, astrophysicien étoile de l’Université de Montréal. Pour élucider ce grand mystère, on devra scruter à la loupe les exoplanètes, ces planètes qui orbitent autour d’autres étoiles que la nôtre. Dans leurs atmosphères, on cherchera à détecter des gaz émis par des organismes vivants. Les mondes candidats ne manqueront pas: on sait maintenant que la majorité des centaines de milliards d’étoiles dans la Voie Lactée hébergent des exoplanètes. Quand les nombres étourdissent ainsi, qui pourrait croire que la vie ait seulement émergé sur Terre?

Joe Parks Flickr

Une seconde vie?

L’Univers est un terrain de jeu dont les dimensions dépassent l’entendement. Toutefois, créer la vie est loin d’être un jeu d’enfant. Est-ce raisonnable de croire que la vie ait éclos plus d’une fois?

Pour répondre à cette question, il faut avant tout savoir ce qu’est la vie. Ce qui naît et meurt? Ce qui est animé d’une volonté propre? Tout ce qu’on sait sur cette question, on l’a appris dans notre propre biosphère. Deviner la forme que prendra le vivant sous une autre étoile est un projet pour les esprits les plus créatifs.

Néanmoins, la définition de la Nasa sert de référence aux scientifiques: la vie serait « un système chimique auto-suffisant capable d’évolution darwinienne. »

Apparaît donc le portrait d’une « petite bête » qui se reproduit, réagit à son environnement pour conserver son intégrité et qui extrait de l’énergie au monde qui l’entoure.

Sur Terre, on pense que la vie a émergé dans la « soupe primordiale ». Des molécules qui grouillaient aléatoirement dans l’océan auraient fini par créer un agrégat doté de la faculté de produire des copies de lui-même.

En 1952, dans l’espoir de reproduire en laboratoire l’éclosion de la vie, Stanley Miller et Harold Urey de l’Université de Chicago enfermèrent dans une enceinte étanche du méthane, de l’ammoniac, de l’hydrogène et de l’eau puis bombardèrent le mélange d’arcs électriques pendant quelques semaines.

Le résultat fut foudroyant: Miller et Urey identifiaient cinq acides aminés dans leur soupe, et on découvrit plus tard qu’il y en avait plus de vingt. Les acides aminés, composantes de base des protéines, sont les briques de la vie comme on la connait sur Terre.

Peu importe le mécanisme derrière son émergence, la vie n’a pas tardé à amorcer son règne sur Terre. Nos plus vieux ancêtres seraient apparus il y 3,8 milliards d’années, à l’époque même où notre planète devenait suffisamment froide pour héberger de l’eau sous forme liquide.

Sur Terre, la vie apparut dès que les conditions favorables furent réunies. Règle ou exception?

Vivre d'amour... mais surtout d'eau fraîche

Le désert d’Atacama, au Chili, est l’endroit le plus sec au monde. Certaines stations météo de l’Atacama n’ont jamais détecté la moindre goutte d’eau. En 2003, une équipe de la Nasa y reproduisait les analyses de sol réalisées sur Mars par les sondes Viking. Aucune trace de vie ne fut détectée. « Si les sondes Viking avaient atterri dans les locations les plus sèches de l’Atacama plutôt que sur Mars et réalisé exactement les mêmes expériences, ç’aurait également été un échec », déclarait Chris McKay, chercheur principal de l’étude.

La plupart des experts de l’astrobiologie, la science qui étudie l’émergence de la vie, s’entendent pour dire que l’eau liquide est essentielle aux organismes vivants. Du moins, ces derniers ont besoin d’un bon solvant pour faire office de carrefour chimique où circule tout le nécessaire.

D’autres molécules pourraient aussi servir de solvant, comme le méthane liquide qu’on retrouve sur Titan, une lune de Saturne. Toutefois, le méthane est en phase liquide à des températures beaucoup plus froides que l’H2O, des températures où la chimie se déroule au ralenti et qui rendraient l’émergence de la vie encore plus improbable.

Ainsi, les chasseurs d’exoplanètes s’intéressent particulièrement aux candidates où la température permet à l’eau d’exister sous forme liquide. Ces planètes ne doivent pas se situer trop près de leur étoile, pour éviter que la chaleur brûlante n’évapore toute l’eau, ni trop loin, où l’eau resterait sous forme de glace. On appelle cet intervalle la « zone habitable ».

Outre la distance de son étoile, l’atmosphère régule aussi la température de surface d’une planète. Comme une serre, elle laisse entrer la lumière, mais retient la chaleur. Par exemple, sur Terre, la présence d’une atmosphère augmente la température moyenne de 33 °C.

Et si on trouve une planète dans la zone habitable de son étoile, quelles sont les chances qu’elle recèle bien de l’eau, liquide ou pas? « L’eau, l’oxygène, le carbone, tous les éléments qui composent notre corps sont très abondants dans l’Univers. Ce n’est pas le matériel qui manque! » nous rassure René Doyon, professeur de physique à l’Université de Montréal.

Inspiré d'une figure de la Nasa/JPL-Caltech.
En février dernier, l'annonce de la découverte du système planétaire de Trappist-1 a répandu l'excitation. Trois exoplanètes qui orbitent autour de cette étoile naine siègeraient dans sa zone habitable. Comme Trappist-1 est beaucoup moins chaude que le soleil, sa zone habitable est bien moins étendue.
Voie lactée
Image de fond de la Nasa
Carte complète du ciel où sont situées quelques exoplanètes. Les températures indiquées font abstraction de potentielles atmosphères et pourraient être en réalité plus élevées. Symboles: M⊕ (masse terrestre), R⊕ (rayon terrestre), al (année-lumière).

La signature du vivant

Fouiller la galaxie pour repérer des petites planètes rocheuses dans la zone habitable de leur étoile serait la première étape pour trouver la vie extraterrestre. « Quand on développe des instruments, c’est avec l’objectif de trouver et de caractériser des petites planètes, avec cette idée en tête de détecter de la vie un jour. C’est un grand programme scientifique qui va se décliner sur plusieurs décennies. Il faut commencer quelque part, donc c’est ce qu’on fait » déclare avec conviction le professeur Doyon, aussi directeur de l’Institut de recherche sur les exoplanètes (iREx).

L’iREx, un ambitieux groupe de recherche basé à Montréal, se prépare à analyser les données abondantes qui seront recueillies par le télescope spatial James-Webb.

Les chercheurs vont étudier à distance l’atmosphère des exoplanètes. La composition gazeuse des atmosphères représente la meilleure fenêtre sur l’activité chimique, géologique, et, s’il y a lieu, biologique d’une planète.

Les gaz recherchés seront, entre autres, la vapeur d’eau, l’oxygène, le méthane et le dioxyde de carbone. Parfois, ces gaz s’accumulent d’eux-mêmes dans l’atmosphère, mais ils peuvent aussi être générés par la vie qui habite la planète. Dans ce dernier cas, on les appelle des « biosignatures ».

Par exemple, l’oxygène moléculaire (O2) constitue la plus claire biosignature sur notre planète. Avant l’apparition de la vie sur Terre, il était absent de l’atmosphère. C’est la vie qui a arraché le carbone au CO2, abondant dans l’air en raison des éruptions volcaniques, et qui a libéré l’oxygène.

Il va sans dire que la détection d’oxygène moléculaire dans une atmosphère d’exoplanète serait un résultat « extrêmement excitant » selon le professeur Doyon. Toutefois, d’autres processus n’impliquant pas la vie peuvent aussi expliquer la présence d’oxygène dans une atmosphère. Notamment, les rayons ultraviolets peuvent dissocier les molécules de vapeur d’eau. L’hydrogène, très léger, s’échappe alors dans l’espace et laisse l’oxygène seul derrière.

« La façon dont on va arriver à se démêler dans tout ça, c’est en regardant le contexte, explique le professeur Doyon. Par exemple, si on trouve du méthane et de l’oxygène, l’abondance relative des gaz nous permettra d’avoir une idée plus générale et puis de conclure, je ne sais pas, je spécule, que l’explication la plus probable soit l’origine biologique. »

Ainsi, pour identifier les gaz qui trahissent effectivement la présence de la vie, il faudra mettre en relation leur concentration avec le reste l’atmosphère. Un cocktail déséquilibré serait la signature de la vie.

Transit de Vénus
CIERA Northwestern University
Transit de Vénus, vu depuis la Terre.

La vie au bout du télescope

Avant d’entreprendre la recherche de biosignatures, il faut d’abord observer les exoplanètes. Un défi, dans tous les sens du terme, astronomique. C’est comme si on vous demandait de regarder un moustique qui tournoie autour d’un phare à 5000 km de distance — la distance entre Montréal et Vancouver. Non seulement l’insecte paraitrait tout à fait infime, mais en plus, la lumière du phare vous aveuglerait.

Cet exploit a cependant été répété des milliers de fois par les astronomes depuis à peine 20 ans. L’une des techniques les plus utiles pour y arriver est la méthode du transit: « On regarde des planètes qui, de notre point de vue, passent devant leur étoile, explique le professeur Doyon. On voit alors une petite baisse de la luminosité de l’étoile. » En gros, on observe l’ombre du maringouin projetée par le phare.

La méthode du transit permet de repérer les exoplanètes, de déterminer leur taille (par l’ampleur de la baisse de luminosité) et leur période de révolution (grâce à la fréquence du clignotement).

C’est grâce à la méthode du transit que l’équipe menée par le chercheur belge Michaël Gillon a pu détecter les planètes autour de Trappist-1.

Ces dernières années, des astronomes ont placé la barre encore plus haut. On a réussi à observer la lumière qui traverse l’atmosphère d’une exoplanète lors d’un transit. Cette lumière est légèrement modifiée par rapport à celle de l’étoile seule. Grâce à son spectre lumineux, on tente d’identifier les longueurs d’onde absorbées par les gaz dans l’atmosphère de l’exoplanète.

Un spectre est la décomposition d’un rayon de lumière en longueur d’onde. Les arcs-en-ciel sont de magnifiques réalisations naturelles du spectre lumineux du soleil. Les astronomes imitent ce phénomène avec un appareil appelé le spectrographe afin d’analyser la lumière des étoiles.

Or, le méthane, l’oxygène et la vapeur d’eau absorbent chacun certaines longueurs d’onde spécifiques. « Chaque gaz est composé d’atomes de masses et de charges différentes et préfère donc osciller à une fréquence différente », explique Nicolas Cowan, professeur de physique à l’Université McGill.

Ainsi, chaque gaz laisse son empreinte spectrale dans la lumière qui le traverse. La différence entre le spectre de l’étoile seule et le spectre « trafiqué » par l’atmosphère permet l’identification des gaz qui flottent autour de l’exoplanète.

Obtenir un spectre d’absorption d’atmosphère s’avère cependant extrêmement difficile, même avec le télescope spatial Hubble. Pour l’instant, seules des atmosphères de géantes gazeuses ont pu être observées avec suffisamment de précision pour pouvoir déduire une partie de leur composition. Les planètes rocheuses, dont l’atmosphère est beaucoup plus mince, restent hors de portée.

Ceci pourrait changer l’an prochain avec le lancement du télescope spatial James-Webb. Enfant chéri des agences spatiales américaine, canadienne et européenne, ce joujou de plus de dix milliards de dollars flottera dans le vide interstellaire à 1,5 million de km de la Terre, soit quatre fois plus loin que la Lune. Son miroir de 25 m2, cinq fois plus grand que celui de Hubble, sera équipé d’un spectrographe de haute précision conçu et fabriqué au Canada sous la direction de René Doyon.

« Avec le télescope spatial James-Webb, on va pouvoir sonder l’atmosphère de petites planètes, explique le professeur Doyon. C’est très difficile de faire de la spectroscopie de transit, mais NIRISS [le spectrographe à bord] a été conçu spécifiquement pour ça. »

« James-Webb pourra certainement détecter de l’eau, du méthane et du dioxyde de carbone » prévoit le professeur Doyon. Et de l’oxygène moléculaire (O2)? En théorie, James-Webb n’a pas la résolution spectrale nécessaire pour y arriver, « mais la nature a parfois le tour de nous surprendre. »

La méthode du transit.
Figure basée sur le travail de Nick84 / CC-BY-SA-3.0.
Un exemple d'absorption: le spectre du soleil, avant et après avoir traversé l'atmosphère terrestre.
Télescope spatial James-Webb
Nasa
Miroir primaire du télescope spatial James-Webb.

Passer la frontière du réel

Nicolas Cowan, aussi membre de l’iREx, croit que lorsqu’on découvrira de l’oxygène moléculaire dans l’atmosphère d’une planète, la partie ne fera que commencer. « Ça va être le vrai défi. Je suis certain qu’il va y avoir beaucoup d’articles publiés avec des biosignatures, et puis on va passer le reste de nos carrières à débattre de "qui croit vraiment que c’est à cause de la vie". »

Et si on trouvait des signes qui ne laissent pas place au doute? Si l’atmosphère d’une exoplanète contenait un mélange gazeux que rien d’autre que la vie ne pouvait expliquer?

L’exoplanète habitée serait nécessairement à plusieurs années-lumière de nous. Proxima du Centaure, l’étoile la moins éloignée de la Terre, est l’hôte connu d’une exoplanète. Avec la technologie actuelle, une sonde mettrait 30 000 ans pour franchir les 4 années-lumière qui nous en séparent.

Que nos lointains voisins soient des êtres intelligents, ou (plus probablement) une impénétrable forme de vie microscopique, nous n’en saurions rien avant de nombreuses générations.

Finalement, ce qu’on trouvera sera plutôt en nous. On aura la réponse à une question qui trouble l’espèce humaine depuis toujours. René Doyon se nourrit de cette soif de savoir du public: « Je ne connais personne qui est indifférent à la question de savoir s’il existe de la vie ailleurs. » Le directeur de l’iREx pense qu’on détectera de l’eau dans une atmosphère semblable à la Terre d’ici cinq à dix ans. Et que d’ici cinquante ans, on verra de l’oxygène.

« Ça va tellement vite, j’ai peine à imaginer ce qu’il va y avoir dans vingt ans! » déclare-t-il.

En 1520, Fernand de Magellan et son équipage se frayaient un chemin à travers les fjords inhospitaliers de la Patagonie. Ils aperçurent alors de la fumée s’élever depuis l’archipel qu’on appelle maintenant la Terre de Feu. Ils ne virent personne, mais comprirent que des peuples vivaient là. Aujourd’hui, nous sommes à la veille de voir de la « fumée » sur une autre planète. Y aura-t-il du feu?